[N° 597] - Entretien avec Hugues Périnet-Marquet «ALUR est certainement la réforme la plus importante du droit de la copropriété depuis 1965».

par YS
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Hugues Périnet-Marquet est professeur de droit à l’Université Panthéon-Assas. Spécialiste du droit de l’immobilier, de la construction et de l’urbanisme, il dirige le centre de recherche sur la construction et le logement et collabore à de nombreuses revues juridiques. Il était membre de la Commission relative à la copropriété.


Vous étiez membre de la Commission relative à la copropriété qui a été récemment supprimée par un décret du 17 février 2014. Comment avez-vous vécu cette disparition ?
La Commission de la copropriété a eu, au fil du temps, une incontestable utilité. Présidée par l’un des rédacteurs de la loi de 1965, elle fut un lieu de débats et de propositions entre les organisations professionnelles, les copropriétaires, les notaires et les avocats. A ce titre, elle a permis de faire avancer, sans trop de heurts, le droit de la copropriété. Elle fut consultée sur la rédaction de nombreux textes réglementaires, voire législatifs, et ses avis, bienvenus, ont évité un certain nombre de dérives. Ces recommandations ont été des guides utiles pour la pratique. Mais, dans les années récentes, le rythme s’est fait plus lent, et un certain nombre de textes furent adoptés sans même que la Commission soit consultée. Les ministères concernés prirent l’habitude de contacts plus directs avec les organismes professionnels membres de la Commission, ce qui eut tendance à marginaliser cette dernière. Sa suppression ne constitue donc pas une surprise. Cela dit, son absence crée un vide certain. Aujourd’hui aucune instance de concertation et d’examen préalable des textes n’existe de manière officielle. Avignon fait coexister le In et le Off. Ici, la disparition du In risque fort de laisser toute sa place au Off.

Selon vous, quelles sont les mutations les plus marquantes du statut de la copropriété des immeubles bâtis ces dernières années ?
Elles se concrétisent pour moi dans l’accroissement simultané du pouvoir de la collectivité, d’une certaine forme de consumérisme et de la complexité des textes.
La loi de 1965 avait été bâtie sur un schéma simple. Le copropriétaire était d’abord un propriétaire qui, dès lors, jouissait de l’essentiel des droits de tout propriétaire. Il avait un pouvoir absolu sur ses parties privatives et devait donner son opinion sur toutes les décisions collectives concernant son immeuble, à des majorités relativement élevées, voire à l’unanimité. Or, ce schéma s’effrite de plus en plus. Les travaux d’intérêt collectif sur les parties privatives, la perte du droit de véto des copropriétaires du dernier étage, pour ne prendre que ces exemples, réduisent la force du droit de propriété sur les parties privatives. L’abaissement progressif des majorités renforce le pouvoir de la collectivité au détriment des droits de chacun des copropriétaires. Les décisions sont sans doute prises plus facilement mais, en contrepartie, les minoritaires deviennent de plus en plus nombreux et ces «malgré nous» de la copropriété, s’ils sont impécunieux, pourront vite se retrouver dans l’incapacité de supporter les dépenses votées contraires à leurs souhaits. L’abaissement des majorités est, de ce point de vue, tout à fait ambivalent. Il sert la bonne administration de la copropriété mais peut desservir sa santé financière.
L’imprégnation du consumérisme est plus discrète mais le législateur, manifestement, tend de plus en plus à considérer le copropriétaire d’habitation comme un consommateur. L’information toujours plus conséquente imposée, notamment lors des cessions de lots de copropriété, en est le signe le plus manifeste, au risque de rendre très difficile ces cessions dans les copropriétés les plus en difficulté. L’obligation de fournir une notice d’information relative aux droits et obligations des copropriétaires ainsi qu’au fonctionnement des instances du syndicat de copropriété évoque d’ailleurs les notices types des contrats de consommation.
La complexification est également évidente. Le volume des textes croît sans arrêt à tel point que la lecture de la loi de 1965 est devenue particulièrement rébarbative. Le fait que la numérotation de certains articles évoque plus le Code général des impôts que le Code civil en est d’ailleurs l’un des signes les plus manifestes. Le régime des copropriétés en pré-difficulté, en difficulté ou en carence est également d’une précision excessive et occupe désormais des dizaines de page de code. On comprend, dès lors, que les montages en volumes attirent de plus en plus. Entre un régime d’ordre public hypertrophié et un autre, purement conventionnel, le choix, lorsqu’il est possible, est vite fait.

La loi ALUR est certainement la réforme la plus importante du droit de la copropriété depuis la loi de 1965. Elle est à la fois intéressante mais aussi déroutante. A bien des égards, elle innove fortement. L’im­matriculation des syndicats, le fonds de prévoyance, la division en volumes, la création de régimes différents en fonction de la taille ou de la destination de la copropriété, pour ne prendre que quelques exemples, sont incontestablement des réformes qui n’ont pas, loin de là, que des mauvais côtés. La possibilité d’expropriation des parties communes ouvre une nouvelle voie entre volumes et copropriété tout en remettant en cause la notion même de lot, pourtant au cœur de la loi de 1965.
Mais, le lecteur demeure néanmoins perplexe devant le manque d’unité de la loi. Celle-ci donne l’impression d’un patchwork de pièces cousues sur un vieil habit pour lui redonner une nouvelle jeunesse. La copropriété se transforme ainsi en manteau d’arlequin. Elle perd beaucoup de son unité. Un tel vêtement ne peut, à notre sens, qu’être assez provisoire. Une réforme d’ensemble de la copropriété reste plus que jamais à réaliser en intégrant ces nouveautés dans la cohérence et la simplicité. La codification de la loi de 1965 ne serait d’ailleurs pas forcément inutile. Il est dommage que le législateur n’ait pas procédé, comme il le fait parfois, en prévoyant, dans  le corps même d’une loi touffue, le recours à une ordonnance pour en  lisser les aspérités.