[N°634] - La religion dans les prétoires

par Edilaix
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Lieu de vie, la copropriété peut être aussi un lieu où s’exerce une activité religieuse. Il peut en découler des tensions, des troubles que les tribunaux ont parfois à connaître. Des principes de solutions ont été élaborés au fil des décisions rendues par les juridictions saisies de ces difficultés. Les extraits qui vont suivre en sont l’illustration.

 


 

 

 

 

Religion et règlement de copropriété 

 

Les propriétaires d’un appartement avaient assigné le syndicat des copropriétaires en annulation de la résolution de l’assemblée générale en vertu de laquelle le syndic de copropriété les avait assignés en référé afin que soit retirée la construction qu’ils avaient édifiée en végétaux sur leur
balcon pour une semaine à l’occasion de la fête juive des cabanes

Pour la troisième chambre civile de la Cour de cassation, «la liberté religieuse, pour fondamentale qu’elle soit, ne pouvait avoir pour effet de rendre licites les violations des dispositions d’un règlement de copropriété». Il apparaissait pour les hauts magistrats que «la cabane faisait partie des ouvrages prohibés par ce règlement et portait atteinte à l’harmonie générale de l’immeuble puisqu’elle était visible de la rue». Partant, une cour d’appel en a exactement déduit, selon eux, que «l’assemblée générale était fondée à mandater son syndic pour agir en justice en vue de l’enlèvement de ces objets ou construction» (Cass. 3e civ., 8 juin 2006, n° 05-14.774, publié au bulletin).

Un syndicat des copropriétaires avait sollicité d’une cour d’appel de condamner une SCI à cesser toutes les activités de culte, d’enseignement ou culturelles dans un lot de l’immeuble. Selon la cour de Paris : «considérant que les termes «(industrielles, commerciales ou artisanales)» après «activités diverses» étant dans tous les textes, tant de l’article 7 que de l’article 8, entre parenthèses, constituent une illustration et non une limitation des «activités diverses» pouvant être exercées dans les locaux ; que l’enseignement, l’organisation d’activités culturelles de loisirs et même cultuelles constituent d’ailleurs des «industries» au sens large et étymologique du terme, en tous cas y sont assimilables dans le contexte litigieux, n’étant pas par leur nature créateurs de nuisances ou risques plus importants ; que la Cour doit encore ajouter que s’il y avait un doute sur l’intention des parties, il résulte des termes tant des articles 544 et 1162 du Code civil que de l’article 9 de la loi du 10 juillet 1965 cité par l’intimé lui-même, que le règlement devrait être interprété dans le sens de la plus grande liberté de jouissance et non de celui de la plus grande restriction, cette dernière devant être expresse et ne pouvant se présumer ; qu’en définitive, l’utilisation des locaux par la SCI les Deux Rives et l’association locataire est conforme à leur destination telle que prévue par le règlement de copropriété.».

Considérant que le syndicat prétend que certains fidèles se montreraient «agressifs envers les résidents de la copropriété» ; mais que ceci ne résulte aucunement des deux constats d’huissier versés aux débats ni d’aucun autre élément en possession de la Cour ; que des «familles» seraient «perturbées» par «la présence d’une importante activité cultuelle dans le sous-sol de leur résidence» ; mais que la notion de nuisance doit reposer sur des éléments objectifs et non sur les opinions ou difficultés psychologiques de ceux qui n’admettent ou ne comprennent pas que l’on pratique une religion ou que l’on en pratique une autre que la leur ; que les résidents seraient «troublés» par l’émission de musique lors de cérémonies religieuses ; mais que ceci n’est établi par rien et est d’autant plus improbable que l’appelante remarque que le culte musulman ne comporte pas de musique ; que l’intimé fait encore état de difficultés de stationnement et d’encombrement de la «voie d’accès pompiers» ; que le constat d’huissier des vendredis 1er et 8 février 2008 mentionne, non ce dernier fait mais que certaines personnes «se garaient», en fait garaient leur véhicule «sous» des emplacements matérialisés par des panneaux indiquant «interdiction de stationner» et que le 8 février 2008 à 13 heures, «environ 80 hommes sortis des locaux sont regroupés devant l’entrée et discutent, gênant le passage des véhicules livrant les entrepôts» ; mais qu’outre que le stationnement des véhicules sur les voies publiques et l’encombrement de celles-ci est essentiellement un problème de police étranger au présent litige, les faits constatés sont mineurs, et limités à la courte période du culte collectif hebdomadaire du vendredi aux environs de midi ; que dans son constat du 6 octobre 2006, l’huissier a dénombré la sortie, entre 21 heures 45 et 23 heures 45, de 654 personnes, par une porte latérale donnant sur le jardin, ainsi que la relaté le tribunal ; mais que l’huissier n’a constaté aucun trouble ; que la sortie de 654 personnes en 2 heures, 120 minutes, soit en moyenne 5 à 6 par minute, n’est pas en elle-même de nature à créer des nuisances ; que la mauvaise foi ne se présumant pas, le tribunal ne pouvait déduire du seul fait que la sortie s’est effectuée par une porte latérale, la porte principale était bloquée, une volonté de «dissimulation» ; qu’il apparaît au contraire que le filtrage par une petite porte assure une sortie plus discrète, étalée dans le temps et de nature à éviter les nuisances sonores ; que le syndicat ne fait pas la preuve qui lui incombe de l’existence de nuisances excédant les troubles normaux de voisinage du fait de la SCI … ou de son locataire ; que la cour ne peut constater de leur part aucune atteinte aux droits des autres copropriétaires.  

Selon les juges du fond, il résultait de ce qui précède qu’il n’y avait pas lieu d’enjoindre à la SCI de cesser tout ou partie de ses activités cultuelles, culturelles, de loisirs, ou d’enseignement (CA Paris, 17 avril 2008, RG n°  07/11661).


 

 

 

 

Religion et bail


Alors que la cour de Paris avait jugé qu’au regard de la liberté de culte garantie par la Constitution et des textes supranationaux, le fait pour la bailleresse de refuser l’installation, au moins pour l’un des accès à la résidence d’une serrure mécanique en plus du système électrique et de remettre des clés aux résidents qui en font la demande, leur cause un trouble manifestement illicite, la Cour de cassation estime, quant à elle, que «les pratiques dictées par les convictions religieuses des preneurs n’entrent pas, sauf convention expresse, dans le champ contractuel du bail et ne font naître à la charge du bailleur aucune obligation spécifique» (Cass. 3e civ., 8 décembre 2002, n° 01-00.519, publié au bulletin).


 

 

 

 

Religion et troubles de voisinage


L’Association consistoriale israélite de Paris (ACIP) était propriétaire d’un lot situé au rez-de-chaussée d’un immeuble soumis au statut de la copropriété et décrit dans le règlement comme constitué d’une «boutique et arrière-boutique», dans lequel elle organisait des activités culturelles et des offices religieux. Le syndicat des copropriétaires ayant, lors de plusieurs assemblées générales, autorisé le syndic à agir en justice afin qu’il soit mis fin à ces activités, l’ACIP a assigné le syndicat des copropriétaires en nullité de ces deux décisions. Par ailleurs, le syndicat des copropriétaires a reconventionnellement demandé la condamnation de l’ACIP à restituer au lot litigieux son usage de boutique.

La cour d’appel avait constaté que le règlement de copropriété précisait que l’immeuble ne pouvait, en principe, être occupé que pour l’habitation ou l’exercice d’une profession libérale, les professions commerciales étant toutefois autorisées au rez-de-chaussée, à l’exception des restaurants, des débits de boisson, de tout commerce d’alimentation et de tous autres commerces entraînant des nuisances telles que les activités bruyantes ou gênantes par l’odeur, les trépidations, le bruit ou encore les activités justifiant une surprime d’assurance. Pour les juges, il résultait de ces dispositions que l’exercice d’une activité cultuelle n’était pas prohibé dans le lot considéré mais qu’elle ne devait pas entraîner des nuisances d’une ampleur qui rendrait cette activité contraire à la destination de l’immeuble. En l’espèce, le lot abritait désormais un «centre communautaire» dans lequel étaient régulièrement célébrés un culte religieux et des cérémonies qui impliquaient les allées et venues de nombreux fidèles à des heures matinales ou tardives, le bruit de chants, l’organisation de fêtes et de réceptions et étaient à l’origine de nuisances permanentes importantes du fait de réunions d’un nombre élevé de personnes, de nombreuses allées et venues dans les parties communes de l’immeuble, de rassemblements importants dans le hall d’entrée les jours de cérémonies religieuses, d’amoncellement de déchets dans le local poubelle, de nuisances sonores dues à la climatisation, la cour d’appel a pu déduire de ces seuls motifs, que «ces activités étaient contraires à la destination de l’immeuble au regard des dispositions […] du règlement de copropriété» (Cass. 3e civ., 16 septembre 2015, n° 14-14.518, inédit). 

Un constat dressé par huissier de justice avait établi la réalité de troubles causés aux autres occupants de l’immeuble par la pratique cultuelle exercée dans un appartement loué.  L’huissier a, en effet, constaté lui-même, à 19 heures 45, que d’un appartement situé à l’étage au-dessus de celui loué et en décalage avec cet appartement, il entendait distinctement des chants religieux entrecoupés de prières. L’huissier a également reçu les doléances d’une occupante d’un appartement de l’immeuble se plaignant de subir le bruit important de la chorale, des prières et des percussions provenant de l’appartement loué. Ce constat d’huissier est conforté par un courrier adressé par le syndic de la copropriété qui indique avoir reçu de nombreuses plaintes concernant son locataire à raison des réunions à caractère religieux entraînant d’importantes nuisances sonores pour l’ensemble de la résidence.

Jugé que «l’affirmation que les cérémonies religieuses ne se tiennent plus dans les lieux, ne prive pas le demandeur de sa légitimité à faire respecter la destination des lieux, l’habitation principale et non lieu de culte, et à faire cesser les troubles anormaux de voisinage dûment constatés, en faisant assortir cette injonction d’une astreinte provisoire» (CA Fort-de-France, 25 mai 2012, RG n° 10/005321).