[N°630] - La copropriété sans le sol - III.- Troisième piste : les expériences étrangères de l’utilisation du sol à l’épreuve de la copropriété

par Lætitia TRANCHANT, Professeur à Aix-Marseille Université
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III.- Troisième piste : les expériences étrangères de l’utilisation du sol à l’épreuve de la copropriété

Cette “piste” s’inspire notamment d’une étude récente, réalisée par Guilhem Gil et portant sur «la copropriété dans les systèmes de common law»13.
Ces systèmes connaissent l’attraction du sol sur le sous-sol et le sur-sol et se sont, par conséquent, heurtés aux mêmes difficultés que les nôtres. En raison de la densité de la population et de la raréfaction de l’espace disponible, la construction de l’immeuble ne se conçoit plus seulement par l’étalement à la surface du sol, mais en hauteur.
Pour que l’occupation de cet immeuble soit optimale, il faut rompre avec l’attraction du sol, de façon que l’immeuble ne soit pas approprié par un seul propriétaire, mais par plusieurs.
Cette répartition a été permise dans différentes législations prévoyant une répartition de la propriété par «portions», lesquelles correspondent souvent à des étages distincts ; on y retrouve les irréductibles ingrédients de la copropriété à savoir des parties privatives et communes, quelle que soit leur dénomination ainsi qu’une répartition des coûts d’entretien et un organe de gestion.
Aucune de ces préoccupations ne nous est étrangère.
Naturellement, ce qui apparemment nous intéresse en premier lieu, ce sont les choix opérés à l’égard du sol. Dans les pays de common law, comme en France d’ailleurs, le sol reste majoritairement (c’est le cas de la commonhold association anglaise) perçu comme devant demeurer commun ; l’Ecosse, cependant, fait exception. L’Afrique du sud retient un système proche du nôtre, le sol (y compris les terrains divers, aires de stationnement, cours et jardins) ne peut être privativement approprié, mais une «aire de jouissance privative» peut être affectée à une «section» privative14, etc.
En réalité, au-delà de ces choix quant à l’appropriation privative ou commune du sol lui-même, une des clés de compréhension de la copropriété semble reposer sur le choix du système même de répartition, entre ce qui est privatif et ce qui doit demeurer commun. Le sol n’est pas le ressort de la réflexion. C’est vraiment la liberté de la répartition qui semble ressortir. Et les expériences les plus séduisantes, soit parce qu’elles ont essaimé auprès d’autres législations - comme l’expérience australienne des «strata titles»15 - soit parce qu’elles sont le fruit réussi de mutations successives - comme le condominium américain- semble être celles qui introduisent une souplesse de principe dans la répartition. Dans ces législations, ce qui n’est pas approprié privativement EST commun, et c’est une volonté d’affirmer : «déterminons d’abord ce que nous voulons nous approprier privativement et ensuite seulement, le non-réparti sera commun ; est commun ce qui est résiduel» qui me semble intéressante.
C’est le choix de la liberté, d’une souplesse de principe, qui est fait.
Parmi ces législations, nous avons évoqué l’Australie et nous ne pouvons pas ne pas citer en particulier le cas de l’Etat du Queensland. Cet Etat s’est doté d’un texte cadre d’application générale, complété par des textes satellites propres à des types de copropriétés. Prenant appui sur des principes communs à toutes les divisions d’immeuble empruntant aux strata titles, des statuts différents viennent s’y agréger, prenant en compte les besoins propres à chaque gamme de copropriété. Est-ce l’habitat ? L’exercice d’une profession ? Est-ce une résidence-service ? Une résidence hôtelière ? Un ensemble immobilier de moins de six lots ? Pour chaque gamme, un fonctionnement différent, des contraintes plus lourdes ou plus allégées, mais adaptées aux attentes supposées de la forme de copropriété correspondante.
Quels que soient ces modèles étrangers, le sol est un élément dont la copropriété, juridiquement, peut se passer. Le sol, dont la copropriété neutralise l’attraction, s’efface, devient un élément parmi les autres, une simple limite physique.
La conclusion est donc la même que celle que l’on a pu tirer au sujet du volume.
Puisque le sujet de ces deux journées se consacre aux «formes modernes de la copropriété», osons mixer l’expérience du Queensland et celle du volume. Nous pourrions tout à fait imaginer des copropriétés affectées à des usages distincts et contenues dans des volumes différents. Par exemple, une copropriété-volume habitation et une copropriété-volume exercice professionnel, sur des assises foncières mitoyennes ou pourquoi pas - ce serait l’aboutissement de cette liberté dont la copropriété semble avoir tant besoin - sur une même assise foncière. Il n’est pas dit que les inconvénients qui en découleraient seraient supérieurs aux avantages que l’on en retirerait, eu égard à la situation actuelle.
Un autre moyen d’anéantir l’attraction du sol sur le dessus et le dessous est le recours aux baux de longue durée, que l’on qualifie parfois en droit français de baux superficiaires.
Après le «bail réel immobilier»16 qui, lui aussi, dissocie le sol des constructions, une ordonnance n° 2016-985 du 20 juillet 2016, relative au bail réel solidaire, introduit dans le Code de la construction et de l’habitation (CCH) les articles L. 255-1 et suivants. Ce bail réel solidaire puise son origine dans les community land trusts des Etats-Unis des années 1970.
L’article L. 255-1 du CCH le définit de la manière suivante : «constitue un contrat dénommé “bail réel solidaire” le bail par lequel un organisme de foncier solidaire consent à un preneur (…) pour une durée comprise entre dix-huit et quatre-vingt-dix-neuf ans, des droits réels en vue de la location ou de l’accession à la propriété de logements, avec s’il y a lieu obligation pour ce dernier de construire ou réhabiliter des constructions existantes» ; «les constructions et améliorations réalisées par le preneur demeurent sa propriété en cours de bail et deviennent la propriété de l’organisme de foncier solidaire à l’expiration du bail» (CCH, L. 255-7, al. 3)17.
L’idée est de dissocier durablement - et même sans limite de durée au profit de preneurs successifs - le foncier et le bâti. Foncier, qui demeure la propriété d’un organisme foncier solidaire. Bâti, sur lequel les occupants de condition modeste vont détenir un droit réel de longue durée.
Le preneur ne finance donc que le bâti ; le foncier est extrait de sa contribution financière pour être assumé par un organisme foncier solidaire (bénéficiant, quant à lui, de subventions publiques).
L’inspiration est, on l’a dit, celle des Community Land Trusts.
Le site www.comunitylandtrust.fr : exprime l’esprit qui anime ces promopteurs :
«Les Community Land Trusts (CLT) constituent une approche opérationnelle alternative à la propriété privée du sol et à l’appropriation individuelle de la ressource foncière sous forme de rente ou de plus-value, source d’inflation des prix de l’immobilier et d’inégalités dans l’accès au logement et au territoire.
Les principes du Community Land Trust sont inscrits dans les trois termes qui en composent le nom : extraire le sol –LAND – des liens de la propriété privée, et le placer, en dehors du marché, entre les mains d’une entité vouée à en être le dépositaire perpétuel – TRUST – qui l’administrera de manière participative et non lucrative dans l’intérêt commun – COMMUNITY. C’est-à-dire en ne cédant que le bâti et en y retranchant une fois pour toutes le coût du terrain, en garantissant l’accessibilité permanente des constructions au fil des reventes, quelle que soit leur vocation, en sécurisant le parcours résidentiel des acquéreurs de logements constitués prioritairement de ménages modestes, et en veillant indéfiniment au bon entretien du patrimoine bâti sur son foncier».

Pourquoi s’intéresser aujourd’hui à ce schéma ?
Parce qu’il s’agit là d’un mode d’habitat collectif alternatif à la copropriété, voire concurrent, mais aussi parce que, parmi les dix «caractéristiques opérationnelles» dégagées pour ces CLT, il est prévu une «diversité des réalisations : destination variée des terrains et multiplicité des statuts d’occupation du bâti (monopropriété, copropriété, coopérative)».
Ce qui signifie que parmi les formes «modernes» de la copropriété, il faudra sans doute compter le bail réel solidaire.