[N°624] - Pour un traitement plus efficace du contentieux en copropriété (2/2)

par Agnès LEBATTEUX, Pascale BURDY CLEMENT, Cyril SABATIE
Affichages : 12867

Index de l'article

À l’occasion du jubilé de la loi du 10 juillet 1965, la Chambre nationale des experts en copropriété a invité ses membres à former des groupes de travail par profession pour élaborer des propositions concrètes de réforme du texte. Le groupe “Avocat” s’est tout naturellement penché sur les réformes permettant d’améliorer le traitement du contentieux en droit de la copropriété, et en particulier d’en accélérer le traitement.

Actes de la CNEC Paris 2015

Ainsi, le groupe “Avocat” a fait le constat :
> de l’engorgement des juridictions ;
> de l’inutile contentieux des annulations d’assemblées générales en cascade qui engorge les tribunaux ;
> d’un contentieux en annulation qui masque souvent, en réalité, une contestation de charges ;
> d’une inflation relative d’un contentieux lié à l’administration du syndicat des copropriétaires, alimenté par des protections juridiques bénéficiant aux copropriétaires.
Ce constat étant posé, les deux mesures proposées pour l’amélioration du traitement du contentieux en copropriété sont les suivantes :
Restaurer le filtre de l’intérêt légitime à agir - «pas d’intérêt, pas d’action» (1ère partie - Parue dans le n° 622, octobre 2017) ;
Créer une procédure élargie de recouvrement accéléré des charges, car la défaillance des copropriétaires met en péril la conservation du patrimoine commun (2nde partie).


 II.- Simplifier le contentieux de recouvrement des charges


A.- Diagnostic

1.- La longueur des procédures en recouvrement de charges met en péril les syndicats des copropriétaires

L’essentiel des modifications législatives récentes concerne le traitement et la prévention des copropriétés en difficulté. Le rapport Braye, qui a jeté les bases de la loi du 24 mars 2014, dite loi ALUR, a mis en lumière des causes conjoncturelles, liées à la négligence du syndic, à la mésentente des copropriétaires ou encore à l’inefficacité du mode décisionnel, notamment des assemblées générales dans les très grandes copropriétés. Il occulte, en revanche, complètement une évidence pointée par de nombreux professionnels : même le syndic le plus diligent ne peut pas, face à un copropriétaire procédurier, recouvrer rapidement les charges.
L’incapacité du syndicat des copropriétaires à recouvrer les charges est le plus souvent temporaire, car il dispose du redoutable privilège légal de l’article 19-1 de la loi du 10 juillet 1965 lui permettant d’être payé lors de la vente du  lot, éventuellement après saisie de celui-ci.
Malheureusement, avant de parvenir à l’adjudication - ou même à toute mesure d’exécution forcée - le  parcours du syndic est parsemé d’embûches et la voie peut être longue : ne disposant pas de titre exécutoire, il doit tout d’abord obtenir la condamnation du copropriétaire au paiement des charges, puis mettre en  œuvre les mesures d’exécution forcée, et, si la saisie du lot s’avère nécessaire, faire voter cette décision, ainsi que la mise à prix par l’assemblée générale.
Ainsi, le recouvrement de la créance du syndicat des copropriétaires sur le copropriétaire prendra au mieux quelques mois, et au pire - lorsqu’il s’agit d’un lot en déshérence après succession, d’un copropriétaire procédurier, ou que l’approbation des comptes en assemblée n’est pas possible - quelques années.
Or, cette période de «latence» pour le recouvrement des charges peut s’avérer fatale pour le syndicat de copropriété. En effet, celui-ci doit être considéré comme en «pré-difficulté»1, dès lors qu’à la clôture de l’exercice, plus de 25 % du budget appelé est impayé, et même 15 % dans les copropriétés de plus de 200 lots.
Néanmoins, ce seuil est aisément franchi, dès lors que quelques copropriétaires sont défaillants dans le paiement de leurs charges et qu’un délai de plusieurs mois s’écoulera avant d’obtenir la condamnation des débiteurs, pour peu que ceux-ci aient de véritables difficultés de paiement (divorce, accidents de la vie, succession non réglée, liquidation judiciaire d’un commerçant…).
La difficulté avérée, la mise sous administration judiciaire n’est plus très loin, d’autant plus que, désormais nécessairement doté d’un compte séparé2, le syndicat peut se trouver rapidement dans l’impossibilité totale de régler ses dettes courantes.
Ce constat des professionnels et des copropriétaires est étayé par l’étude très récente du ministère de la justice concernant le contentieux en matière de copropriété3 :
> Depuis 2004, le nombre des contentieux de la copropriété portés devant les juridictions du premier degré a augmenté de 30 %, étant passé de 32 600 à 42 500 ;
> Cette augmentation est essentiellement imputable aux demandes en paiement des charges formées devant les juridictions du premier degré (+ 38 %), les autres contentieux étant à peu près stables. Les demandes en paiement représentent les deux-tiers des actions en justice en matière de copropriété ;
> La hausse relative la plus importante a concerné les demandes en paiement des charges formées devant le tribunal de grande instance (+ 47 %, contre 36 % devant le TI [tribunal d’instance] et la juridiction de proximité), ce qui révèle soit l’augmentation des montants de charges dues par les copropriétaires, soit l’accumulation des arriérés. La part relative du contentieux relevant des TI ou du juge de proximité reste de 84 %, mais le montant des charges à recouvrer est supérieur à 4 000 € dans 67 % des cas.

La dernière information que délivre cette étude est relative à la durée de la procédure. La conclusion de l’étude est optimiste, mais en trompe-l’œil : «en 2014, les demandes relatives à des impayés de charges sont traitées en moins de 8 mois devant les TGI [tribunal de grande instance]. Le délai de traitement est encore plus court devant les TI  (5,6 mois) et les juges de proximité (4,6 mois)». Malheureusement, cette moyenne est établie à partir de procédures qui sont, pour la plupart, non contradictoires : quel que soit le tribunal, le copropriétaire débiteur comparait dans moins de 30 % des cas. Mais devant le TGI notamment, dès lors que celui-ci constitue avocat, la durée de la procédure s’allonge de 6 à 13,4 mois… soit plus d’un exercice comptable.
Or, ce sont ces dernières procédures qui sont réellement périlleuses pour les finances du syndicat des copropriétaires : par définition, elles concernent des arriérés de plus de 10 000 €, résultant souvent d’appels de fonds de travaux ou d’un cumul de charges courantes remontant à deux ou trois ans, ou d’un copropriétaire qui est fortement contributeur4.


2.- Le contentieux du recouvrement de charges est éclaté et mal réparti

Plus grave, ces contentieux en recouvrement génèrent parfois des contentieux «parasites» en annulation d’assemblée générale. En opposition avec le syndicat des copropriétaires et le syndic, le copropriétaire défaillant va solliciter la nullité de la désignation du syndic, ou encore l’annulation des résolutions approuvant le budget et les charges, alors que ces résolutions sont, en principe, sans influence sur le contentieux en recouvrement, puisque la résolution est applicable tant qu’elle n’a pas été annulée et que cette contestation n’est pas, en principe, suspensive de l’action en recouvrement.
Dans cette situation, l’alternative qui s’offre au juge ne présente aucune solution satisfaisante :
- soit le juge du tribunal d’instance, saisi du recouvrement, sursoit à statuer sur le recouvrement dans l’attente du jugement du TGI saisi de l’annulation de l’assemblée générale, mais diffère nécessairement la condamnation du débiteur - et donc, l’obtention du titre exécutoire, de près de deux ans5 ;
- soit le juge d’instance, à juste titre, considère que le recours engagé contre l’assemblée générale ou la résolution approuvant les comptes n’est pas suspensif, et prononce donc une condamnation «immédiate» sans surseoir à statuer, mais le syndicat des copropriétaires n’est pas alors à l’abri d’une obligation d’avoir à restituer ultérieurement des charges trop perçues …

Il est vrai qu’un arrêt récent de la Cour de cassation a consacré la compétence du tribunal d’instance, juge du principal, pour statuer, au titre des exceptions de procédure, sur la validité des résolutions approuvant les comptes, notant que «la demande d'annulation d'une décision d'assemblée générale ne relève pas de la compétence exclusive du tribunal de grande instance»6. Toutefois, la compétence du tribunal d’instance statuant par voie d’exception devrait rester marginale, dès lors que la demande d’annulation de l’assemblée générale doit être formulée dans le délai de deux mois de la notification du procès-verbal, et qu’une fois le délai de l’article 42 de la loi du 10 juillet 1965 écoulé, cet argument ne peut plus être soulevé, même à titre d’exception7.
Par ailleurs, le déport du contentieux de l’administration de la copropriété, et des annulations d’assemblée générale, du TGI au TI, ne semble pas souhaitable de lege ferenda [signifie "en application du droit actuellement en vigueur” - ndlr], compte tenu de la gravité des conséquences d’une telle annulation et de la complexité relative des procédures.
Pour brosser un tableau complet de la situation, il faut ajouter que la «procédure d’urgence», le référé, demeure très peu utilisé, que cela soit :
- devant le président du tribunal statuant en référé pour solliciter la condamnation du débiteur aux sommes dues au syndicat des copropriétaires en l’absence de contestation sérieuse (art. 808 et 848 du Code de procédure civile - CPC) ;
- Ou devant le président du TGI statuant «comme en matière de référé» pour condamner le débiteur au payement des provisions sur budget de l’année (art 19-2 de la loi du 10 juillet 1965). 

Ainsi, devant le TGI, seules 30 % des demandes font l’objet d’une procédure de référé au sens large et 5 % devant le tribunal d’instance. Au total en 2004, les procédures au visa de l’article 19-2 sont au nombre de 884 (sur 29 500 demandes de recouvrement) seulement, ce qui peut être considéré comme un échec, près de 15 ans après la création du dispositif.
En conclusion, le syndicat des copropriétaires est manifestement dans la quasi-impossibilité d’obtenir rapidement un titre exécutoire permettant de lancer les procédures de recouvrement forcé des charges, dès lors que le débiteur exerce les droits de la défense, et a fortiori face à un débiteur procédurier ou de mauvaise foi, qui pourra échapper au paiement pendant plusieurs années.

1- Au sens de l’article 29-1A de la loi du 10 juillet 1965, qui fixe à ce seuil l’obligation de désigner un mandataire ad hoc ayant pour mission d’émettre un rapport sur les causes des difficultés du syndicat des copropriétaires.
2- A compter du 1er janvier 2017, le syndicat des copropriétaires devra nécessairement être doté d’un compte séparé, sans dispense possible, sauf pour les syndicat des copropriétaires composés exclusivement de personnes morales ne comportant aucun lot d’habitation, ou pour les immeubles d’au plus 15 lots principaux : article 18 de la loi du 10 juillet 1965, dans sa version issue de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, art 55, 3°.
3- Étude du Ministère de la Justice du 14 janvier 2016 sur l’évolution du contentieux de 2004 à 2014.
4- Devant le TI, l’écart est moindre mais reste substantiel : les durées s’élèvent à 7,6 mois pour les décisions contradictoires et de 4,9 mois pour les décisions réputées contradictoires.
5- Cf étude du ministère de la Justice précitée : la durée de traitement des contentieux relatifs à l’organisation et l’administration des syndicats des copropriétaires est élevée : 23,5 mois lorsque le tribunal statue au fond sur les demandes !


B.- Propositions de rédaction

L’urgence est d’organiser un arsenal de mesures efficaces, rapides, préventives à la disposition du syndic pour maintenir le compte courant de la copropriété toujours créditeur, de façon à régler les charges courantes et financer les travaux votés, donc d’assurer sa fonction de mandataire du syndicat dont l’objectif premier est l’entretien de l’immeuble et sa préservation.
La meilleure des mesures, permettant à la fois une accélération du traitement des contentieux en recouvrement de charges, et la centralisation des  procédures serait, sinon la création d’un juge de l’habitat (les problématiques des baux d’habitation et du droit de la copropriété ne se recoupant pas  nécessairement), du moins un juge de la copropriété, relevant du TGI lequel statuerait :
- en circuit «court», voire en chambre des urgences, sur les procédures de recouvrement «simple» et sur les condamnations provisionnelles ;
- au fond sur les procédures impliquant de trancher une question relative à l’administration même du syndicat des copropriétaires (nullité de résolutions d’assemblée générales, nullité ou révision des charges, etc).

Toutefois, une telle réforme ne peut être réalisée par une simple modification de la loi du 10 juillet 1965, et, surtout, suppose l’allocation de moyens suffisants, lesquels font manifestement défaut.
C’est pourquoi nous  proposons plutôt d’engager une réforme moins ambitieuse, mais circonscrite à la loi du 10 juillet 1965, et dont l’efficacité pourrait être immédiate, en rénovant la procédure de l’article 19-2 de la loi du 10 juillet 1965, qui, en l’état actuel du texte prévoit :
> La déchéance du terme pour les provisions sur budget après «mise en demeure par lettre recommandée avec demande d’avis de réception restée infructueuse pendant plus de trente jours» ;  
> La possibilité pour le président du tribunal statuant «comme en matière de référé», donc au fond mais dans les formes du référé,  de condamner le débiteur au paiement de la totalité des provisions sur charges de l’année.
La procédure est efficace car elle donne, pour une fois, une longueur d’avance au syndicat des copropriétaires, qui peut ainsi obtenir, non seulement une condamnation rapide, mais encore une provision représentant la totalité des sommes exigibles sur l’année.
«Après avoir constaté le vote du budget prévisionnel par l’assemblée générale des copropriétaires ainsi que la déchéance du terme, le président du tribunal de grande instance statuant comme en matière de référé peut condamner le copropriétaire défaillant au versement des provisions prévues à l’article 14-1 et devenues exigibles. L’ordonnance est assortie de l’exécution provisoire de plein droit.
 Le présent article est applicable aux cotisations du fonds de travaux mentionné à l’article 14-2.»

Toutefois, le contentieux du recouvrement accéléré des provisions de l’article 19-2 ne concerne que les provisions de l’article 14-1 (budget courant). Il est en outre impossible de solliciter par la même occasion, sur le fondement de l’article 484 du CPC (procédure de référé-provision). En effet, bien que le président du tribunal assume à la fois la fonction de juge des référés et de juge statuant, comme en matière de référé - et, ce, parfois à la même audience -, il s’agit, en théorie, de deux juridictions distinctes (article 492-1 du CPC). Ainsi, l’avocat qui veut obtenir simultanément un titre pour les provisions du budget et pour les provisions «travaux» est obligé de délivrer deux assignations, devant ces deux juges différents, si possible pour une seule et même audience.

Pour que cette procédure prenne l’essor attendu, il est essentiel de  la généraliser, afin qu’elle devienne une voie de recouvrement réellement efficace et utilisée. Pour ce faire, il conviendrait :
> d’y englober les provisions de l’article 14-2 (même si à compter du 1er janvier 2017, la procédure de recouvrement accéléré englobera les sommes appelées au titre de la constitution du fonds travaux) ;
> d’étendre la compétence du président du TGI en tant que juge du recouvrement non seulement aux provisions de l’exercice en cours, mais également aux charges après approbation des comptes.
Dans ce système, les provisions et les charges de l’exercice comptable ainsi que celles dues après approbation des comptes, pourrait être récupérées par un système de recouvrement «accéléré» indépendamment d’une éventuelle procédure au fond qui suivrait son cours.

La rédaction proposée est donc la suivante :
«Article 19-2   de la  loi du 10 juillet 1965.
À défaut du versement à sa date d'exigibilité d'une provision prévue aux articles 14-1 et 14-2, les autres provisions prévues à ce même article et non encore échues deviennent immédiatement exigibles après mise en demeure par lettre recommandée avec demande d'avis de réception restée infructueuse pendant plus de trente jours à compter du lendemain du jour de la première présentation de la lettre recommandée au domicile de son destinataire.
Après avoir constaté le vote du budget prévisionnel et celui du budget travaux par l’assemblée générale des copropriétaires ainsi que la déchéance du terme, le président du tribunal de grande instance statuant comme en matière de référé peut condamner le copropriétaire défaillant au versement des provisions prévues aux articles 14-1 et 14-2 devenues exigibles. L'ordonnance est assortie de l'exécution provisoire de plein droit.
Après avoir constaté le vote par l’assemblée des copropriétaires de l’approbation des comptes de l’exercice écoulé, et en l’absence de contestation sérieuse, le président du tribunal de grande instance statuant comme en matière de référé peut condamner le copropriétaire défaillant au versement du solde de charges immédiatement exigible. L'ordonnance est assortie de l'exécution provisoire de plein droit».

Le renforcement des pouvoirs du juge de l’article 19-2 en étendant son pouvoir de condamnation en «urgence» aux provisions de l’article 14-2, ainsi qu’au contentieux du recouvrement des charges immédiatement après approbation des comptes permettra une accélération des procédures.
Ainsi, le syndic disposerait d’un outil préventif pour améliorer le fonctionnement courant de la comptabilité des copropriétés.
Cela aurait aussi pour effet de diminuer le contentieux des annulations en cascades qui masque souvent en réalité un contentieux des charges.