[N°638] - Rénovation énergétique : financer et convaincre (2/2)

par Sophie MICHELIN-MAZERAN, journaliste spécialisée
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Index de l'article

Plus que jamais, la rénovation énergétique des copropriétés constitue un enjeu majeur pour un parc de quelque huit millions de logements. Mais il n’est pas aisé pour les syndics de copropriété de trouver des financements stables et adaptés aux travaux d’amélioration de la performance énergétique de leurs immeubles. En effet, les voies de financement sont diffuses, pour ne pas dire impénétrables, et le mode de gouvernance d’une copropriété n’arrange en rien la situation. Il est pourtant indispensable de comprendre et de saisir les aides disponibles pour passer à l’action, car si les copropriétés n’engagent pas aujourd’hui, et de manière volontaire, la transition de leurs bâtiments, elles prennent deux risques : supporter la hausse inexorable de leurs charges, et se voir imposer des obligations de travaux renforcées via un durcissement de la réglementation déjà en œuvre.


 I.- Trop d’aides tuent les aides ? 

Difficile pour les copropriétés de trouver leur chemin dans la jungle des aides collectives et individuelles pour réaliser des travaux de rénovation. Quatre dispositifs “socle” cohabitent toutefois : le crédit d’impôt pour la transition énergétique, l’éco-prêt à taux zéro Copropriété, la TVA à taux réduit, et les certificats d’économies d’énergie, sans négliger pour autant des instruments plus innovants.

A.- L’offre bancaire
L’emprunt collectif en copropriété.-
Un syndicat des copropriétaires peut souscrire, pour le compte des seuls copropriétaires volontaires, un prêt bancaire pour financer des travaux de performance énergétique. Tous les travaux sur parties communes ayant fait l’objet d’un vote en assemblée générale sont concernés. Le prêt peut aussi financer les travaux sur les parties privatives s’ils sont liés aux précédents, par exemple le remplacement des fenêtres lors du ravalement des façades. Le recours à l’emprunt collectif est soumis à certaines règles de formes. Ainsi, lorsque tous les copropriétaires souhaitent financer la réalisation de ces travaux par un emprunt collectif, la décision de recours à l’emprunt est prise à l’unanimité des voix des copropriétaires. Par ailleurs, le syndicat des copropriétaires doit impérativement être garanti par une caution solidaire (Banque de France ou Groupe Caisse des Dépôts) pour prévenir les cas d’impayés de remboursement du prêt d’un ou de plusieurs copropriétaires.
Un éco-prêt à taux zéro spécifique pour les copropriétés.-
L’éco-prêt à taux zéro Copropriété (éco-PTZ Copropriété) est un prêt collectif octroyé au syndicat des copropriétaires, pour le compte des copropriétaires qui souhaitent y participer. Opérationnel depuis 2015, il permet de financer les travaux d’économie d’énergie de la copropriété et les éventuels frais induits. Les travaux concernent les parties privatives faisant l’objet d’une rénovation d’intérêt collectif ou les parties communes de la copropriété. Si l’éco-PTZ copropriété ne finance qu’une seule action d’amélioration de la performance énergétique, le montant maximum financé par le prêt est de 10 000 euros par logement. En revanche, il peut atteindre 30 000 euros par logement pour trois actions financées ou l’atteinte de l’objectif de performance énergétique minimale. Le montant total du prêt pour l’ensemble de la copropriété est égal au montant maximal de prêt par logement, multiplié par le nombre de logements concernés par le prêt. Le syndicat des copropriétaires devra rembourser cet emprunt sur une période de 10 ou 15 ans selon l’option retenue. Pour obtenir cette aide, les travaux doivent être réalisés par des professionnels détenant la qualification RGE («reconnu garant de l’environnement»). Seuls le Crédit Foncier, Domofinance et la Caisse d’Epargne Île-de-France distribuent, à ce jour, l’éco-PTZ Copropriété, dont le déploiement est de fait limité.

B.- Les incitations fiscales
Reconduction du crédit d’impôt pour la transition énergétique.-
Le crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) permet de déduire de l’impôt sur le revenu une partie des dépenses engagées pour des travaux d’économie d’énergie, mais avec une année de décalage. Si une copropriété effectue des travaux d’isolation, installe des équipements utilisant des énergies renouvelables ou améliore son système de chauffage, ces dépenses ouvrent droit au crédit d’impôt pour chaque copropriétaire, à hauteur de sa quote-part définie par le règlement de la copropriété. Le taux de réduction d’impôt est de 15 % ou 30 % en fonction des travaux réalisés, sans condition de ressources et sans obligation de réaliser un bouquet de travaux. Les équipements et matériaux éligibles doivent respecter des critères techniques, et le bénéfice du crédit d’impôt est conditionné, pour certains travaux, à leur réalisation par des professionnels titulaires du label RGE. Le CITE vient d’être modifié : prolongé jusqu’au 31 décembre 2018, il est destiné à être remplacé en 2019 par une prime forfaitaire versée à l’issue des travaux, et doit être progressivement recentré sur les actions les plus efficaces. Depuis le 2018, certaines dépenses en sont ainsi exclues : chaudières à fioul, parois vitrées, portes d’entrée et volets isolants. En revanche, les audits énergétiques deviennent éligibles au crédit d’impôt.
La TVA à taux réduit.- Le taux de TVA appliqué aux travaux de rénovation est en principe de 10 %. Mais pour les travaux d’amélioration de la performance énergétique et les travaux induits qui leur sont indissociablement liés, ce taux est réduit à 5,5 %. Cette mesure favorable s’applique aux travaux visant l’installation des matériaux et équipements éligibles au CITE, dans sa rédaction antérieure à la loi de finances pour 2018, sous réserve du respect des caractéristiques techniques et des critères de performances minimales qui déterminent son éligibilité. Attention, si les travaux ont pour effet d’augmenter de plus de 10 % la surface du plancher des locaux existants (à l’occasion de travaux d’isolation de la toiture par exemple), le taux réduit de TVA est écarté.

C.- Comprendre les aides des fournisseurs d’énergie (dispositif CEE)
Les CEE représentent pour les copropriétés un levier financier supplémentaire. Mais l’appréhension du dispositif ne va pas de soi. Mis en place en 2006 par la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique (POPE), sa montée en puissance a été planifiée en plusieurs phases tendant à une hausse rapide des volumes de CEE émis. Dans son principe, ce mécanisme vise à obliger les vendeurs d’énergie (EDF, Engie ou même des enseignes de la grande distribution) à obtenir de leurs clients, la réalisation d’économies d’énergie, via principalement des aides financières, en échange de certificats attestant d’un volume d’énergie épargnée. Les fournisseurs d’énergie peuvent, par exemple, cofinancer ou participer à des travaux de rénovation en copropriété en proposant des primes, des prêts bonifiés ou des services, et recevoir en contrepartie des CEE. C’est cette contribution au financement de la rénovation que la copropriété doit négocier avec l’opérateur dans le cadre d’un partenariat en amont. La copropriété n’est jamais directement propriétaire de CEE et ne peut en faire commerce. Seuls certains travaux de rénovation sont éligibles à ces aides, et leur obtention est conditionnée à la réalisation des travaux par des professionnels RGE. Les CEE sont cumulables avec la plupart des dispositifs d’aide à la rénovation.

D.- Le mille-feuille des aides publiques
Les aides plurielles des collectivités.-
Certaines collectivités locales (communes, conseil régional, conseil départemental ou EPCI) accordent des aides pour financer des projets d’amélioration et ou de rénovation énergétique en copropriété : réalisation d’un diagnostic ou d’un audit énergétique, installation d’équipements performants, etc. Pour connaître toutes les aides disponibles, le syndicat de copropriétaires a tout intérêt à se rapprocher des conseillers du réseau “Point rénovation info service”.
Les appels à projets pourvoyeurs d’aides.- D’autres sources de financement sont mobilisables en faveur de la rénovation des copropriétés. L’ADEME et la région Île-de-France ont, par exemple, lancé en 2014 l’appel à manifestation d’intérêts “Copro durable” (reconduit les années suivantes) pour les copropriétés engagées dans des travaux de réhabilitation énergétique ambitieux. Les lauréats bénéficient alors de plusieurs aides et subventions. Plus récemment, le programme “Éco-rénovons Paris”, lancé à l’initiative de la Ville de Paris, vise à inciter l’éco-rénovation de 1 000 copropriétés parisiennes d’ici 2020. Les copropriétés lauréates de ce programme ont accès à un accompagnement renforcé pour la réalisation du projet, ainsi qu’à des aides financières exceptionnelles pour la réalisation des travaux. 405 projets sont actuellement en cours de réalisation.
“Habiter Mieux-Copropriété” : de quoi s’agit-il ? -
Avec le programme “Habiter Mieux-Copropriété”, l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) propose une aide collective pour financer les travaux de rénovation énergétique de copropriétés fragiles affichant une étiquette énergétique comprise entre D et G et un certain taux d’impayés de charges. Cette aide est attribuée au syndicat de copropriétaires pour un programme de travaux permettant un gain énergétique de 35 % minimum. Elle comprend deux subventions : la prise en charge d’une assistance à maîtrise d’ouvrage et une aide financière pour les travaux, pouvant atteindre jusqu’à 25 % du montant total des travaux HT. Pour bénéficier de cet outil, la copropriété doit obligatoirement avoir au préalable été inscrite par le syndic sur le registre d’immatriculation des copropriétés.

E.- Des solutions financières innovantes à explorer
Tiers-financement : mode d’emploi et cas concret.-
Le tiers-financement est le mécanisme par lequel la copropriété confie la réalisation et le financement du projet de rénovation énergétique à une société. Les économies d’énergie ainsi générées rémunèrent une partie des travaux et les prestations de la société de tiers-financement. Ce mécanisme officialisé par la loi ALUR de 2014, puis renforcé par la loi de transition énergétique de 2015, peine à prendre son envol, alors qu’il s’agit d’un levier potentiellement important pour le passage à l’acte des copropriétés. Néanmoins, quelques régions ont développé des opérateurs de tiers-financement comme la société d’économie mixte Energies Posit’if, créée en 2013, dédiée à la rénovation énergétique des logements collectifs en Île-de-France.
La surélévation : nouvelle ressource des copropriétés ? - Dans une copropriété, le syndicat des copropriétaires peut céder à un promoteur le vide situé au-dessus de l’immeuble pour faire ériger un ou deux étages supplémentaires, puis utiliser le prix de vente pour financer des travaux de rénovation énergétique. La loi ALUR de 2014 encourage les opérations de surélévation : l’unanimité n’est plus exigée, la double majorité de l’article 26 suffit (sauf lorsque l’immeuble est situé dans un périmètre de droit de préemption urbain et en cas de pluralité de bâtiments). Le droit de veto des copropriétaires du dernier étage est supprimé et remplacé par un droit de priorité qui leur est accordé pour l’acquisition des locaux à créer. Toutefois, l’adoption du projet de surélévation est semée d’embuches, d’où le succès mitigé de ce type d’opérations. D’une part, plusieurs assemblées générales semblent nécessaires notamment pour approuver le principe de surélévation ou déterminer les droits cédés au promoteur. D’autre part, la surélévation est une opération assez lourde puisqu’elle se fait sur de l’existant avec tous les problèmes inhérents aux structures de l’immeuble et les problèmes de voisinage qui peuvent intervenir.

 


 II.- Comment lever les points de blocage ? 


Chacun en convient ou presque : trop peu de copropriétés ont engagé des travaux de rénovation. Parmi les principaux freins, sont montrés du doigt des processus de décision trop longs, un manque d’accompagnement des copropriétaires, l’instabilité des aides financières ou encore la performance insuffisante de certaines opérations de rénovation. Deux réformes en cours de finalisation, le nouveau plan de rénovation énergétique des bâtiments et le projet de loi logement, visent à mettre en mouvement les copropriétés. Tour d’horizon des déclarations de bonnes intentions des parties prenantes, avant les premières mesures concrètes, attendues dès l’été 2018.

A.- Le Conseil économique et social invite à changer de braquet. 
Après avoir rappelé que les objectifs de sobriété énergétique sont loin d’être atteints dans le secteur du logement, contrairement aux ambitions de la loi de transition énergétique de 2015 qui ambitionne de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050, le Conseil économique et social (CESE) demande la mise en place urgente d’un service public de la performance énergétique de l’habitat sur tout le territoire, doté d’un financement pérenne à hauteur de 3 euros par ménage et par an. La généralisation d’offres uniques de financement est également réclamée, tout comme la levée des obstacles en matière de tiers-financement. Les dispositifs de soutien devraient également inciter davantage à des rénovations performantes et globales. Enfin, un effort serait à accomplir pour accompagner les professionnels dans leur montée en compétence.

B.- Plan bâtiment durable : des ambitions affirmées
À ce jour, la sobriété thermique des logements en copropriété n’est pas intégrée dans le cadre du plan de rénovation énergétique des bâtiments, dont les grandes lignes de force devraient être dévoilées prochainement. Pourtant, selon le Plan bâtiment durable (PBD), un objectif spécifique en termes de logements rénovés doit être assigné au secteur de la copropriété pour renforcer l’engagement des acteurs du secteur. Plusieurs axes seraient à travailler dans le plan de rénovation énergétique. Primo, favoriser la remontée et la communication sur les expériences réussies de rénovation en copropriété, où l’on remarque que pour la plupart d’entre elles, le syndic de copropriété a été accompagné par une assistance à maîtrise d’ouvrage (AMO) spécialisée. Secundo, garantir la pérennité des dispositifs incitatifs sur la durée du quinquennat, et spécialement que le CITE puisse être sanctuarisé au jour du vote des travaux en assemblée générale de copropriété. Tertio, remplacer l’audit énergétique par un audit plus global.

C.- Le CSCEE appelle àune stabilité des aides
Le CSCEE s’est également emparé de la place des copropriétés dans le cadre du plan de rénovation énergétique des bâtiments. Via une communication de février 2018, il demande à ce que soit ajouté à ce plan un axe transversal dédié à la rénovation des copropriétés. Le Conseil souhaite développer plusieurs actions, qui recouvrent peu ou prou, celles du PBD : mieux impulser la décision de rénover, notamment par la formation des syndics et des professionnels de l’accompagnement technique et financier. Davantage de visibilité à long terme sur les aides et sur les meilleurs travaux à réaliser au fur et à mesure, d’ici 2050, pour atteindre le niveau BBC est aussi invoqué.

D.- La future loi logement s’intéresse aussi à la rénovation en copropriété
Le projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN) a été transmis au Parlement le 4 avril 2018, pour un vote définitif prévu au mieux durant l’été. Ce texte comporte d’importantes mesures visant à remédier au «vieillissement» de la loi du 10 juillet 1965, qui serait responsable de certaines rigidités retardant, en particulier, la nécessaire rénovation énergétique des copropriétés. Contre l’avis des parlementaires, l’exécutif a décidé de réformer la copropriété par voie d’ordonnances. Concrètement, il est prévu un nouvel abaissement des seuils de majorité requis pour la prise de certaines décisions de travaux en fonction de leur nature et de leur importance, l’élargissement de la catégorie des travaux décidés par l’assemblée générale, même à l’intérieur de parties privatives, auxquels les copropriétaires concernés ne pourraient faire obstacle, ou encore l’attribution renforcée au conseil syndical d’une fonction pédagogique d’information des copropriétaires sur les questions intéressant la rénovation énergétique. Mais certaines voix s’élèvent déjà pour souligner que la rénovation énergétique des copropriétés a plus besoin d’une stabilité de son environnement règlementaire, que d’une nouvelle réforme.

 

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