[N° 582] - L’isolation thermique par l’extérieur : le cas d'une copropriété parisienne de 20 lots

par Guillaume HECHT
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L’opération d’isolation thermique par l’extérieur (ITE) que nous avons choisie de vous présenter a été entreprise dans le cadre des travaux de ravalement d’une copropriété de 20 lots, portant sur deux bâtiments, situés au 45 bld de Ménilmontant, à Paris 11ème.  Ce choix ne relève pas d’une quelconque préférence technique ou architecturale ; l’isolation par l’intérieur pouvant dans certains cas se révéler être la meilleure solution, notamment pour les immeubles de type “haussmannien“ qui présentent des modénatures de façade complexes à doubler.
Livrée en 2010, cette opération d’ITE d’un immeuble faubourien, a fait l’objet d’un remarquable travail de synthèse de la part de son architecte, Benjamin Gauthier. Grâce au compte-rendu détaillé de ce chantier, il nous a permis d’appréhender de nombreuses questions. Pierre-Alexis Hulin, syndic bénévole et copropriétaire résident, apporte également un double témoignage sur cette rénovation énergétique exemplaire…

Photo : Immeuble du 45 Boulevard de Ménilmontant (Paris 11é) avant (gauche) et après travaux (droite). Crédit Benjamin GAUTHIER

Dossier réalisé par Guillaume HECHT

«C’est l’obligation d’avoir à faire le ravalement qui nous a incité à réfléchir» commente Pierre-Alexis Hulin, syndic bénévole à l’époque des travaux. «Lorsque je suis arrivé, le ravalement de la cour intérieure venait d’être votée. Je trouvais le devis exorbitant pour un simple coup de peinture. C’est à partir de ce moment là, et étant moi-même, passé syndic bénévole, que nous avons avec mes voisins copropriétaires, pris conscience de l’opportunité de mener une réflexion plus globale, et de faire plus qu’un simple ravalement. Le tout dans une économie de gestion intéressante»

Parmi tous les travaux en copropriété, le ravalement arrive en tête du classement des occasions qui amènent les syndics et les copropriétés à engager une réflexion et les études nécessaires. La rénovation des façades et le changement des baies (portes et fenêtres) constituent une opportunité intéressante.
C’est l’occasion pour les copropriétaires de travailler avec un architecte à l’élaboration du meilleur cahier des charges possible ; l’historique, l’emplacement, les usages de l’immeuble, le type constructif, la destination des lieux, l’analyse des pathologies… Tout doit concourir à une analyse globale visant à définir le programme de la rénovation énergétique.
Dans le cas de l’immeuble du 45 bld Ménilmontant, la situation n’a pas échappé à Benjamin Gauthier : «l’intervention avait une contrainte patrimoniale “moyenne“ sur ce bâtiment type faubourg, en face du cimetière du Père Lachaise. Les ABF [architectes des bâtiments de France - ndlr] ont émis un avis favorable à la déclaration préalable».
Au-delà de simples travaux de façade, les questions patrimoniales prennent une réelle importance. «Si la façade présente un intérêt architectural particulier, il est possible que le choix d’une ITE rende le projet difficile techniquement, coûteux à mettre en œuvre. Cependant, quand ce n’est pas le cas, une isolation par l’extérieur possède de nombreux avantages qu’il faut faire valoir lors de votes d’AG de copropriétaires…» nous confie Benjamin Gauthier.

Enfin, il est intéressant lors cette phase de réflexion d’envisager de “relooker“ le bâti. La plus-value à la sortie est double, énergétique et architecturale.
Pour Pierre-Alexis Hulin, «je trouvais intéressant de profiter de cette occasion pour redonner à l’immeuble ses modénatures d’origine [bandeaux, appuis de fenêtre, corniche], qui avaient été détruites lors des derniers ravalements.»

La ventilation
Le choix du système de ventilation est essentiel, car isoler un bâtiment par l’extérieur, c’est mettre la boîte dans la boîte ! C’est donc l’empêcher de respirer. Il faut donc le ventiler pour éviter les problèmes liés à la condensation. «Cette question est d’autant plus importante quand l’isolant perturbe l’hygrométrie du mur en empêchant l’humidité de sortir par la façade. Retirer l’air humide du logement implique, hélas, d’extraire de l’air chaud des logements. Suivant le niveau de performance énergétique souhaité, la ventilation sera au minimum mécanique à simple flux, à simple flux hygroréglable type A ou B ou à double flux, solution plus chère et compliquée. La ventilation pourra être réalisée appartement par appartement ou pensée collectivement à l’échelle de l’immeuble, ce qui est préférable», commente Benjamin Gauthier.


Panneau de chantier

Immeuble type “faubourien” ou “ouvrier“
Nombre de lots : 20 sur 2 immeubles contigus (50% de bailleurs et 50% résidents)
Surface de façades : 590 m2 de façades avec fenêtres et 145 m2 de pignons
Énergie : chauffage et eau chaude individuels, gaz et/ou électricité
Coût global des travaux : 190 k€ ttc (honoraires et études compris)
Maître d’œuvre : Benjamin Gauthier, architecte à Pantin (93)
Maître d’ouvrage : syndicat des copropriétaires représenté par Pierre-Alexis Hulin, syndic bénévole en 2009-2010.
Entrepreneur : Hervé Courbot de Chanteloup-les-Vignes (78).
Les travaux engagés en septembre 2009 ont été réceptionnés en avril 2010.


Revue de détails des travaux entrepris

Les occultations
Le choix des occultations extérieures est aussi un point important car elles contribuent au confort thermique d’été et de nuit. On peut profiter du ravalement pour adopter un dispositif d’occultation extérieur homogène sur l’ensemble de la façade (surtout pour les baies au sud et à l’ouest). Suivant les cas, on préférera des persiennes métalliques si les garde-corps sont ‘‘en applique’’, des volets bois-persiennes si les garde-corps sont “en tableaux“ ou encore des stores textiles…

Les fenêtres
Le remplacement des fenêtres est bien entendu préconisé à cette occasion. Isoler un gruyère sans en boucher les trous (ponts thermiques) serait absurde. «Il faut donc profiter du ravalement pour remplacer les vieilles fenêtres par des menuiseries plus performantes (double vitrage peu émissif, gaz argon, bois PEFC, etc). La pose en mode ‘‘réhabilitation’’ des nouvelles fenêtres est compatible avec l’ITE car cela permet de retourner facilement l’isolant en tableau», ajoute l’architecte.

L’isolant
Le choix du type d’isolant dépend du mur existant et de sa capacité à laisser migrer l’humidité. Si le support le permet, une isolation en laine de bois peut être prescrite («énergie grise» inférieure au polystyrène expansé). Préconisation à faire au cas par cas. (Photo1)
L’épaisseur de l’isolant constitue également un élément important : «il dépend du niveau de performance énergétique recherché et du type d’isolant choisi. Un diagnostic de performance énergétique et une étude thermique peuvent impliquer une prescription particulière. A mon sens, 11 cm de polystyrène expansé est un minimum à prévoir. Effectivement cet isolant avec un coefficient de résistance thermique R ≥ 2,80 m2k/w, ouvre droit à un crédit d’impôt à ce jour».
Le choix du type de finition dépend du type d’isolant et du mur existant. «Différents types de finition peuvent être prescris : enduit minéral de 2 cm (fragile dans le temps...), enduit pelliculaire 1 mm, enduit à la chaux, etc. Dans cette opération, nous avons employé du Siloxane grésé grain fin 1 mm».
Le retour d’isolation en tableau est indéniablement un point crucial. «Pour éviter les ponts thermiques, l’isolant doit se retourner en tableau sur les 4 faces (en linteau, les 2 pieds droits et l’appui). Dans cette opération, si l’épaisseur du retour n’était que de 2 cm, c’est mieux que rien, car en matière d’isolation, ce sont les premiers centimètres qui comptent !».


Benjamin Gauthier s’empresse dès lors de nous faire part d’un problème rencontré avec la pose de l’isolation en retour de tableau : «si les dormants de fenêtres ne sont pas assez apparents, l’isolant peut empiéter sur l’ouvrant. Lors de ce chantier, des recoupes de tableau ont été essayées afin de gagner quelques centimètres. Cette méthode a vite été abandonnée car elle a créée des fissures dans les appartements... A ne tenter donc que si des travaux intérieurs sont prévus !». (Photo 2)

 

 

 

 

 

Les modénatures de façade
Les bandeaux, appuis de fenêtre, corniches du rez-de-chaussée, etc, sont parfois des casse-tête : «en cas d’isolation thermique par l’extérieur, les anciennes modénatures sont supprimées, et elles devront être restituées à l’aide de nouveaux profils. Si la question patrimoniale est importante, les profils pourront être réalisés sur mesure, identiques aux existants (cher!). Dans le cas contraire, il existe un nombre important de profils standard de bandeaux. Ceux-ci seront de préférence recouverts de zinc». (Photos 3, 4, 5)

 

S’il existe des modénatures décoratives de façade telles que des listels d’encadrement de fenêtres ou des harpages d’angle, il faudra prévoir au devis ces mises en œuvre visant à restituer un état existant ou un état antérieur supposé. (Photo 6)

Les colonnes d’eaux
Le déplacement des colonnes d’eaux pluviales et/ou d’eaux usées et/ou eaux vannes est à prendre en compte : «les colonnes placées en façade devront être déposées et reposées (ou remplacées en cas de besoin) en tenant compte de la surépaisseur de l’isolant».
(Photo 7)

Les jonctions
La jonction entre la façade et la toiture : «en pignon, les bandes de rives devront être reprises pour protéger la tête de l’isolant. En façade, vérifier qu’il ne faut pas déplacer les gouttières pendantes».(Photos 8, 9, 10)

Prolongement de bandes de rives pour protéger la tête de l’isolant. (photo 8 & 9)

Pour les jonctions entre la façade et les garde-corps, deux cas de figure : «si les garde-corps sont posés ‘‘en applique’’, ils devront être déposés et reposées avec des pattes de fixations plus longues. Si les garde-corps sont posés à l’intérieur des tableaux, ils pourront éventuellement être noyés en partie par l’isolant et/ou réajustés selon les cas». (Photo 11, 12)

«De la même manière que les gardes corps, les grilles de protection pourront être soit directement ‘‘noyées’’, soit déposées et prolongées par des pattes de fixation pour tenir compte de l’épaisseur de l’isolant».
Pour les volets bois et persiennes métalliques : «si l’isolant se retourne en tableau (ce qui est préférable), les baies n’auront plus la même dimension, les volets et persiennes seront donc certainement à changer (ou retaillés si cela est possible). Les gonds des volets bois devront être prolongés en conséquence».

Pour les bouches de ventilation, et en cas de maintien de celles-ci, le percement de l’isolant et la pose de nouvelles grilles seront à prévoir.

Les autres points
Le traitement du rez-de-chaussée reste particulier et différent selon les cas. D’une manière générale, et dès lors que celui-ci donne sur rue ou est exposé aux agressions, il est préférable de trouver un autre revêtement. Une isolation par l’intérieur ou un bardage peut se révéler être une bonne solution.
Pour les démolitions, «ne pas oublier de prévoir dans les devis la dépose des modénatures existantes (bandeaux, appuis de fenêtres, etc) et les reprises de maçonnerie pour aplanir la façade avant la pose de l’isolant».
«C’est impressionnant à quel point le comportement du bâtiment a changé. L’isolation thermique par l’extérieur avec de la maçonnerie entre les deux, lui a fait gagné en inertie ; c’est très appréciable. Le bilan est incontestable ; l’économie d’énergie est considérable. Le chauffage étant individuel, chacun a pu l’apprécier sur sa facture», conclut Pierre-Alexis Hulin.

Dresser un bilan énergétique après travaux dans notre étude de cas serait absurde, puisqu’aucun audit préalable n’avait été fait. Néanmoins, selon les résultats observés1 pour des réhabilitation énergétique d’immeuble de type faubourien, le facteur de réduction serait de 4,5 ; soit une division par 4,5 des déperditions énergétiques enregistrées avant travaux !

 

1 - Résultats issus du Guide ABC, amélioration des bâtiments collectifs, les Éditions parisiennes.

Remerciements à Benjamin Gauthier pour l’utilisation des photos proposées dans ce reportage.


Les avantages de l’ITE

Dans le cadre d’immeubles anciens type “faubourg“, l’isolation par l’extérieur semble plus efficace que l’isolation par l’intérieur qui présente des problèmes liés à la modénature des intérieurs. Ces avantages peuvent se résumer à :
- la suppression de tous les ponts thermiques assurant ainsi une meilleure performance énergétique, et une réduction des points de rosée possibles à l’intérieur des logements (cloquage de peinture, etc),
- la conservation de l’inertie thermique (garde le frais en été et le chaud en hiver),
- l’isolation par l’extérieure conserve au mur son caractère “vrai“ à l’intérieur (il ne sonne pas creux et conserve son aspect avant travaux),
- la conservation de la surface au sol des appartements
- le maintien des résidents à domicile.


Les prix et le financement

Cette étude de cas fait ressortir un coût total de 156 k€ ht pour 590 m2 de façade (fenêtres comprises) et 145 m2 de pignons, soit un coût moyen de 212 € HT/m2 façade.
Si l’on considère le surcoût lié à l’isolation (60 €/m2), on comprend que l’écart avec un simple ravalement réside dans le coût des mises en œuvre qu’il faut prendre en compte dès la phase du projet. Il est donc conseillé de vérifier que les points suivants figurent dans le descriptif de l’architecte et dans les devis d’entreprise avant les travaux :
- choix du système de ventilation,
- traitement des occultations extérieures,
- remplacement des fenêtres,
- choix du système de pose de l’isolant,
- choix du type d’isolant (épaisseur/finition),
- retours d’isolation,
- modénatures en façade (bandeaux, appuis de fenêtre, corniche du rez-de-chaussée, …)


Le financement

La source de financement pourrait bien être celle de l’économie d’énergie répartie sur les années à venir ; un retour sur investissement en quelque sorte. En cas de réalisation d’un diagnostic thermique (avant et après isolation), ces économies pourront être quantifiées par rapport au coût des travaux. «Cet argument peut paraître plus difficile à faire passer auprès de propriétaires/bailleurs, sauf si ceux-ci ont les moyens de répercuter le prix des travaux d’isolation sur leurs locataires», remarque Benjamin Gauthier.
Pierre-Alexis Hulin nous rend compte des difficultés rencontrées dans l’élaboration du plan de financement : «les dispositifs incitatifs de la ville de Paris, avec notamment le Plan climat, mais également les prêts à taux zéro (Eco-PTZ) et les crédits d’impôts sur l’isolant nous paraissaient intéressants. Mais si l’on voulait rentrer dans le plan Paris climat, il aurait fallu faire une étude énergétique pour avoir un financement, environ 40%, de l’audit thermique. Mais lorsque l’on a mesuré l’ampleur de “l’usine à gaz“ que représentait le montage de ces dossiers, on s’est dit que ce n’était vraiment pas la peine, surtout pour s’entendre dire qu’en fin de compte il fallait bien isoler ! En fin de compte, les dispositifs incitatifs n’étaient pas adaptés à notre cas. Même les prêts à taux zéro ont été compliqués à monter avec les banques. Seul le crédit d’impôt sur les isolants a bien marché. A l’époque, on a pu récupérer 40% du montant des travaux hors main d’œuvre».
Il est enfin important de rappeler que contrairement à un ravalement simple, le crédit d’impôt est possible sur des travaux d’isolation. A ce jour, et sous réserve de modification des derniers dispositifs en vigueur, 25 % des coûts liés à la fourniture et la pose de l’isolant sont récupérables (si l’isolant présente une résistance thermique R supérieure à 2,80 m2.K/W).