[N° 576] -Rapport Braye : 3 questions à son auteur

par Edilaix
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La loi de 1965 : «Utile, toujours nécessaire mais à toiletter»

Dominique Braye, président de l’Agence nationale de l’habitat (Anah), ancien sénateur des Yvelines, a remis récemment son rapport sur la prévention des difficultés des copropriétés au secrétaire d’État au logement Benoist Apparu. Il répond à nos questions.

Crédit : Anah/Crhistophe Caudroy

Le rapport sur les copropriétés que vous avez présenté au secrétaire d’État, Benoist Apparu, est une condamnation de la loi de juillet 1965. Quelles sont les dispositions que vous remettez en cause ?
Ce rapport n’est pas une condamnation de la loi de 1965. Je pense que cette loi est utile et toujours nécessaire. Cependant, elle est assez ancienne et a été beaucoup remaniée sans complètement répondre aux nouveaux enjeux des copropriétés qui sont entrées, pour certaines, dans une spirale de dégradation liée au cycle de vie du bâti. C’est notamment le cas pour la moitié du parc des copropriétés qui a été construite au lendemain de la seconde guerre mondiale. Cette loi de 1965 n’est aussi plus adaptée aux situations dramatiques financièrement dans lesquelles se retrouvent certains copropriétaires. C’est pourquoi le rapport que j’ai remis au secrétaire d’Etat au logement propose de “toiletter“ la loi de 1965. Parmi les propositions que j’ai émises, la principale mesure réside dans le triptyque «diagnostic global - plan pluriannuel de travaux - fonds de travaux» obligatoires pour toutes les copropriétés. Par ailleurs, afin de conserver la copropriété en bonne santé financière, des propositions sont faites pour éviter tout développement d’impayés, en amenant les syndics à mettre plus rapidement en œuvre les procédures existantes, voire à les renforcer (je pense notamment à l’extension des possibilités d’action en référé). En fait, la gouvernance et la gestion des copropriétés doivent être améliorées : beaucoup est à faire en la matière, notamment pour rétablir la confiance entre les copropriétaires et les syndics. Il s’agit à la fois de mieux réguler la profession (déontologie, formation, médiation...), de clarifier les conditions de gestion, notamment à travers l’instauration du compte séparé sans possibilité de dérogation ou, au moins, de sous-comptes à condition qu’ils garantissent le même niveau de contrôle et de transparence. Il s’agit, enfin, d’améliorer la définition des missions du syndic. Quelques modifications sont également proposées dans le régime de prise de décision pour faciliter les travaux d’amélioration.

Vous préconisez de rendre obligatoire le triptyque “diagnostic, plan pluriannuel et fonds travaux“. Comment cela fonctionnerait-il ?
L’objectif de ce fameux triptyque est, tout d‘abord, à travers le diagnostic général de la copropriété, de faire en sorte que les copropriétaires puissent, connaître l’état technique de leur copropriété dans son ensemble, ce que ne permettent pas aujourd’hui les multiples diagnostics thématiques.
Les travaux doivent ensuite être planifiés, en établissant des priorités. C’est le rôle du plan pluriannuel de travaux qui permettra à la copropriété d’établir une prévision d’échelonnement cohérent de travaux à réaliser, en tenant compte de la capacité financière des copropriétaires.
Enfin, un mécanisme tel que le fonds prévisionnel de travaux, déjà obligatoire dans certains pays comme le Québec* ou l’Espagne, doit permettre de “lisser“ l’effort financier des copropriétaires, en instituant une forme de financement de “l’usure“ des parties communes par les copropriétaires successifs. Ce fonds de travaux sera alimenté par les copropriétaires à hauteur d’environ 5% du budget annuel de la copropriété. Géré via un compte spécifique, il pourrait être conforté par la mise en place d’un produit d’épargne incitatif, et complété par un recours accru aux prêts collectifs. Les versements à ce fonds de travaux resteront attachés au lot. Ils ne seront pas restitués aux copropriétaires au moment de la vente de leur bien. Il ne s’agit pas, en effet, d’une épargne mais bien d’une contribution à l’usage de la copropriété, qui permettra d’instaurer une vraie équité entre les copropriétaires successifs.

Pouvez-vous nous rappeler quelle est la mission de l’Anah ? Quels sont ses moyens ? Quel pourrait être son rôle demain à l’égard des copropriétés dégradées ?
L’Agence nationale de l’habitat a été créée il y a 40 ans pour lutter contre l’inconfort des logements, du parc privé, une notion qui a heureusement, presque disparu aujourd’hui. Seuls 2 à 3% du parc immobilier privé est considéré aujourd’hui comme inconfortable en France. La lutte contre l’habitat indigne reste néanmoins une priorité pour l’Anah : nous ne pouvons tolérer qu’une partie du parc immobilier, si infime soit-elle, soit insalubre, car derrière la dégradation de l’habitat, se trouvent des situations humaines inacceptables, avec parfois des conséquences importantes sur la santé ou la sécurité physique des occupants. L’insalubrité se conjugue souvent avec la précarité énergétique. Les missions de l’Anah ont été récemment renforcées sur ce sujet à travers le programme «Habiter Mieux» qui vise la rénovation thermique de 300 000 logements d’ici 2017. L’Anah intervient également pour adapter les logements à la perte d’autonomie, un enjeu de société très important avec le vieillissement de la population. Enfin, nous œuvrons en faveur des copropriétés en difficulté depuis plus de 15 ans. A travers l’aide aux syndicats de copropriétaires ou l’aide directe aux copropriétaires, nous aidons au redressement des copropriétés en difficulté. Nous accompagnons les copropriétaires sur le plan financier bien sûr, mais aussi social, juridique et technique. Il ne suffit pas de réaliser des travaux dans une copropriété pour la redresser, il faut également que les copropriétaires qui l’occupent soient en mesure de faire face aux dépenses courantes de leur copropriété, qu’ils s’investissent, notamment par leur présence lors des assemblées générales, qu’ils établissent une relation de confiance avec leurs syndics… C’est pourquoi je souhaite que l’Anah renforce encore son action en faveur des copropriétés et notamment intervienne davantage de manière préventive, comme le préconise mon rapport.
En 2011, nous avons consacré 91 millions d’euros au redressement des copropriétés, avec une réelle difficulté à faire face à des besoins toujours croissants. L’effort sera poursuivi en 2012, malgré le contexte de rigueur budgétaire que nous connaissons.
Propos recueillis par la rédaction

* cf présentation de ce dispositif par maître Yves Joli-Cœur en page 23